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sábado, 28 de abril de 2012

Le transiberien 3eme partie


Or, un vendredi matin, ce fut enfin mon tour

On était en décembre

Et je partis moi aussi pour accompagner le voyageur en bijouterie qui se rendait à Kharbine

Nous avions deux coupés dans l'express et 34 coffres de joailleries de Pforzheim

De la camelote allemande "Made in Germany"

Il m'avait habillé de neuf et en montant dans le train j'avais perdu un bouton

- Je m'en souviens, je m'en souviens, j'y ai souvent pensé depuis -

Je couchais sur les coffres et j'étais tout heureux de pouvoir jouer avec le browning nickelé qu'il m'avait aussi donné

J'étais très heureux, insouciant

Je croyais jouer au brigand

Nous avions volé le trésor de Golconde

Et nous allions, grâce au Transsibérien, le cacher de l'autre côté du monde

Je devais le défendre contre les voleurs de l'Oural qui avaient attaqué les saltimbanques de Jules Verne

Contre les khoungouzes, les boxers de la Chine

Et les enragés petits mongols du Grand-Lama

Alibaba et les quarante voleurs



Et les fidèles du terrible Vieux de la montagne

Et surtout contre les plus modernes

Les rats d'hôtels

Et les spécialistes des express internationaux.



Et pourtant, et pourtant

J'étais triste comme un enfant

Les rythmes du train

La "moëlle chemin-de-fer" des psychiatres américains

Le bruit des portes des voix des essieux grinçant sur les rails congelés

Le ferlin d'or de mon avenir

Mon browning le piano et les jurons des joueurs de cartes dans le compartiment d'à côté

L'épatante présence de Jeanne

L'homme aux lunettes bleues qui se promenait nerveusement dans le couloir et me regardait en passant

Froissis de femmes

Et le sifflement de la vapeur

Et le bruit éternel des roues en folie dans les ornières du ciel

Les vitres sont givrées

Pas de nature!

Et derrière, les plaines sibériennes le ciel bas et les grands ombres des taciturnes qui montent et qui descendent

Je suis couché dans un plaid

Bariolé

Comme ma vie

Et ma vie ne me tient pas plus chaud que ce châle écossais

Et l'europe toute entière aperçue au coupe-vent d'un express à toute vapeur

N'est pas plus riche que ma vie

Ma pauvre vie

Ce châle

Effiloché sur des coffres remplis d'or

Avec lesquels je roule

Que je rêve

Que je fume

Et la seule flamme de l'univers

Est une pauvre pensée...



Du fond de mon coeur des larmes me viennent

Si je pense, Amour, à ma maîtresse;

Elle n'est qu'une enfant que je trouvai ainsi

Pâle, immaculée au fond d'un bordel.

Ce n'est qu'une enfant, blonde rieuse et triste.

Elle ne sourit pas et ne pleure jamais;

Mais au fond de ses yeux, quand elle vous y laisse boire

Tremble un doux Lys d'argent, la fleur du poète.



Elle est douce et muette, sans aucun reproche,

avec un long tressaillement à votre approche;

Mais quand moi je lui viens, de ci, de là, de fête,



Elle fait un pas, puis ferme les yeux- et fait un pas.

Car elle est mon amour et les autres femmes

N'ont que des robes d'or sur de grands corps de flammes,

Ma pauvre amie est si esseulée,

Elle est toute nue, n'a pas de corps -elle est trop pauvre.



Elle n'est qu'une fleur candide, fluette,

La fleur du poète, un pauvre lys d'argent,

Tout froid, tout seul, et déjà si fâné‚

Que les larmes me viennent si je pense à son coeur.



Blaise Cendras (1887-1961)